La thérapie cantique

De plus en plus de patients cherchent sur Internet des alternatives aux thérapies classiques. Certains vont jusqu’à demander à leur médecin traitant de les guérir grâce à des traitements parallèles qui pullulent sur la toile. Un ami toubib qui souhaite garder l’anonymat nous a raconté cette consultation.

Bock 2 La thérapie cantique
  • Bonjour Docteur.
  • Bonjour monsieur Machon. Qu’est-ce qui vous amène ?
  • C’est rapport que j’ai mal à mon « caca d’hommes »
  • Vous savez monsieur Machon, les femmes aussi peuvent avoir mal de ce côté-là ! Vous avez des soucis ? vous êtes constipé ?
  • Mais non ! C’est mon os « le caca d’hommes » qui me fait mal.
    Après quelques instants de réflexion, et en réprimant un rire difficile à contenir, notre toubib poursuit :
  • Vous voulez dire le calcanéum !?
  • Oui ! C’est ça ! J’arrive pas à me le carrer dans le ciboulot, ce putain de nom !
  • Montrez-moi votre cheville.
  • Mon « caca d’hommes » il est pas dans ma jeune fille, c’est dans ma main que je souffre dur.
  • Montrez-moi ça, on gagnera du temps.

Le patient, montre à notre amie médusée, son poignet gauche. Celle-ci examine, palpe, compare avec la main droite. Rien de bien grave, sans doute, mais comme la partie douloureuse est enflée, notre toubib songe à appliquer une pommade anti-inflammatoire afin de soulager notre individu.

  • Docteur, vous me donnez pas de saloperies.
  • Non. Je pense seulement à un anti-inflammatoire local.
  • Pas question ! Je veux pas de ça. Ma fille qu’est douée sur Internet m’a dit qu’il fallait que je vous demande de me guérir par la thérapie cantique.
  • Vous allez à l’église, monsieur Machon, et vous chantez ?
  • Ben non ! Depuis le temps qu’on se connaît, vous savez ben que j’suis communiste ! Je fricote pas avec les curés !
  • Si vous voulez que je vous soigne avec des cantiques, va falloir y aller à l’église, parce que moi, voici bien longtemps que j’ai oublié tout ça.
  • Ma gamine, em’ disait que c’était un truc d’école, quand elle serait plus grande.
  • Vous voulez dire quantique !
  • Pt’être ben ! Ma gamine, elle disait… Vous savez, elle est bonne à l’école ma gamine, elle va bien, bien mieux que moi à son âge !
  • Quel âge a-t-elle, votre fille ?
  • Treize. Et elle en sait des choses ! Ben plus que son père ! Elle dit qu’il faut se soigner par l’énergie et plus par les médicaments qui sont tous des cochonneries pour enrichir…
  • Je connais la chanson sur les laboratoires pharmaceutiques ! Se soigner par l’énergie ? Laquelle ? L’énergie solaire ? Le gaz ? L’électricité ? le nucléaire ?
  • Ben ! elle dit comme ça que tout notre corps, y tremble, y vibre comme la lumière et que si on a mal quelque part, alors c’est que ct’endroit là, y vibre pas bien.
  • Quand on vibre et qu’on tremble, comme vous dites, monsieur Machon, c’est la maladie de Parkinson ! Et alors ? Qu’est-ce qu’on fait avec nos vibrations ?
  • Je sais t’y, moi ! C’est vous le docteur ! Mais ma gamine, elle m’a donné un papier pour vous.

Le patient sort une feuille de cahier d’écolier toute froissée qu’il avait dans sa poche et la tend à notre amie estomaquée. Elle déchiffre l’écriture encore enfantine et lit « Le praticien doit entrer en communication avec le champ informationnel du patient dont il va lui-même recevoir l’énergie. Il doit être un relais qui va permettre au message porteur de la guérison de trouver son chemin, car les symptômes sont l’expression d’un déséquilibre dans les communications énergétiques du corps et de l’esprit. »
Notre amie avoue avoir été scotchée par l’audace de cette gosse de treize ans qui, après avoir lu n’importe quoi sur Internet, ose lui écrire et lui donner des conseils médicaux ! Elle poursuit néanmoins sa lecture. « Le rôle du médecin quantique va être d’accompagner son patient afin qu’il mobilise son énergie et accède lui-même à la guérison. Le thérapeute va entrer dans un état vibratoire afin de pénétrer le champ d’énergie du patient. Le soin peut se pratiquer assis ou couché et il n’est pas nécessaire que le praticien entre directement en contact physique avec l’individu ». Encore heureux, pense notre toubib, car le sieur Machon ne semble pas être un excité de la savonnette !

  • Alors ? Qu’est-ce qu’on fait, toubib ? Vous essayez le truc de ma gamine d’Internet ?
  • Je ne crois pas. Mais je vais vous faire une ordonnance.
  • Pour me donner des médocs ?
  • Non ! Pour votre fille.
  • Pour ma fille ! Mais c’est moi que j’ai mal !
  • Je pense que ça vous soignera également !
    Notre amie s’assied à son bureau, attrape une ordonnance et écrit de sa plus belle écriture.

« Mademoiselle,
Vous avez treize ans et j’en ai cinquante-cinq. Vous êtes en classe de sixième, j’ai près de vingt-cinq ans d’expérience de la médecine. Je vous délivre donc cette ordonnance afin que nous puissions discuter le plus vite possible, entre confrères des thérapies adaptées aux patients que je rencontre et que vous rencontrerez.
Suivez des études secondaires sérieuses et sans accumuler de retard ;
Suivez ensuite dix à douze années d’études de médecine avec rigueur et application ;
Abandonnez le plus vite possible l’idée que vous pourrez devenir doctoresse en prenant des cours sur Internet ;
Si vous cherchez «médecine alternative» sur Google, alors en 1,08 seconde le moteur vous renverra 24 800 000 adresses de sites à consulter. Pourquoi choisir la thérapie quantique au lieu des 24 799 999 autres ? Si vous cherchez des thérapeutes alternatifs dans notre ville, ils sont deux cents. Pourquoi en éliminer 199 ? Il convient de tout analyser et de peser le pour et le contre avant de faire ses choix.
Je vous souhaite bon courage pour ces prochaines années. Cordialement et, un peu par avance, bien confraternellement.
Signature illisible (comme d’habitude !)